Aurélie Bresson, qui êtes-vous ?
Je suis tout simplement une sportive de passion et de convictions. Je n’ai pas été sportive professionnelle, sportive de haut-niveau, championne olympique ou du monde. Je suis une passionnée convaincue des valeurs du sport. J’ai grandi dans le berceau associatif à travers les valeurs du sport même je pratique également. A force de côtoyer ce milieu associatif, sa dimension sociale et sociétale, et d’être au contact de sportifs en observant leur quotidien, j’ai fondé le média Les Sportives qui est un magazine papier avant tout. Il est devenu une marque depuis six ans qui donne la parole à toutes les sportives parce qu’elles n’avaient pas assez leur place dans les médias. C’est ce qui m’a amené à être présidente de la Fondation Alice Milliat, la seule fondation européenne dédiée au sport féminin.
La gymnastique a rythmé votre enfance…
Oui exactement. J’ai pratiqué pendant dix ans pour être avec les copines. Je me souviens d’une compétition où je suis tombée plusieurs fois, je me suis cassée la figure de la poutre. J’étais brûlée et éraflée sur la cuisse. Mais il fallait remonter et finir l’enchaînement comme il faut. Et aller jusqu’au bout pour saluer le jury. La gym, sa rigueur, a rythmé mon enfance. Tout comme la culture puisqu’en parallèle je faisais partie d’une chorale à but humanitaire pour donner de la voix aux enfants. C’est ce parallèle entre sport et engagement qui a bercé ma vie.
Vous prenez cet exemple en gymnastique pour dire que lorsque l’on tombe, il faut toujours se relever ?
C’est bien plus que dans la pratique, c’est un état d’esprit. C’est aller au bout, de rien lâcher. C’est ça une âme de présidente. Avoir un tempérament de sportive bien plus que dans la pratique. Je vais jusqu’au bout malgré qu’on me fasse des croche-pieds, malgré les chutes et les doutes. Je sais que je vais être jugé mais je vais au bout des choses. C’est ça que je voulais aussi transmettre et encore plus aujourd’hui aux jeunes générations.
C’était aussi vos premiers pas dans le monde associatif…
Mes parents sont des personnes très engagées associativement. Dès le berceau, ils m’emmenaient dans leurs réunions tard le soir ou tous les week-ends sur les rallyes automobiles. Je me souviens m’endormir sous la table pendant qu’ils refaisaient le monde. D’un week-end à un autre, même s’il pleuvait, qu’il faisait froid, c’est ce que j’admirais ou que je regardais au chaud dans la voiture. J’ai des souvenirs incroyables des supers moments qui nous ont réunis. Mes parents sont encore engagés, ils ont toujours cette fibre. Ce ne sont pas des grands sportifs mais c’est ce lien social et le partage des valeurs entre personnes humaines. C’est ce qui m’a été inculqué.
La transmission est donc une valeur importante à vos yeux…
C’est important d’autant plus que j’ai été reconnue conférencière et que je passe un diplôme de coaching. A travers le temps, je me suis rendu compte que la sororité et l’entraide comptaient. C’est bien de vouloir devenir présidente, de vouloir atteindre les sommets, toutes les femmes n’ont pas cette vocation, mais il est important de montrer que toutes les femmes en ont le droit et peuvent le faire si elles le veulent vraiment. Il y a toujours ce plafond de verre mais le fait de transmettre me permet de dire aux adolescentes, aux étudiantes que dès leur âge qu’il n’y en a pas. J’ai des doutes parfois mais je suis une fonceuse. Je suis dans l’état d’esprit d’y aller et si je me plante tant pis, je rebondis. C’est ce que je souhaite transmettre. A travers les cours que je donne dans des classes garnies de garçons des écoles de management du sport, j’accompagne les projets des filles pendant des années. J’aime aussi intervenir dans un réseau de start-up, des jeunes femmes qui souhaitent s’investir dans le sport. Dès qu’une femme valorise et soutien une autre femme, ça change tout. Enfin, la transmission est importante parce que je suis passée par le monde des Miss. J’ai été mannequin, j’ai été Miss au comité Miss France. J’ai vu combien les femmes pouvaient être difficiles entre elles pour rien. Ce n’est vraiment pas mon état d’esprit. J’ai envie de travailler dans la bienveillance et d’avancer. Ce genre de niaiseries ne permet pas toujours d’avancer.
Aujourd’hui, quelle est la place du sport dans votre vie ?
J’ai transformé ma pratique sportive en militantisme. J’ai fait de la gymnastique puis du sport pour garder une silhouette dans le mannequinat et pour ne pas prendre un gramme. Après j’ai pratiqué de la course à pied comme souffle de liberté avec l’envie de me dépasser. J’ai fait un marathon pour la paix au Japon, 511 kilomètres entre Hiroshima et Nagasaki en 2015 pour la paix et contre l’armement nucléaire. J’ai un fort engagement dans le sport avec une démarche militante.
Aurélie Bresson : « Le sport féminin a de beaux jours devant lui »
En 2016 vous créez Les Sportives. Quel constat vous a poussé à mettre sur pied ce média consacré au sport féminin ?
C’était pendant mes études à l’IUT de Besançon-Vesoul. J’évoluais avec des camarades sportives de haut niveau. Ces copines que j’appréciais ne venaient pas au restaurant universitaire le midi, ne faisaient pas les soirées étudiantes et surtout elles passaient leur diplômes en trois ans au lieu de deux avec un emploi du temps aménagé, des entraînements tout le temps. En les observant, je me suis questionnée sur leur rythme de vie et leurs sacrifices. Alors que pour elles, c’était des choix. C’est comme ça que j’ai commencé à encore plus observer les sportives autour de moi, aller les voir pendant les matchs. Je les ai suivies dans leurs compétitions. Je me demandais pourquoi on ne parlait pas d’elles alors que ce qu’elles font est extraordinaire. Aussi, j’ai découvert à travers mon expérience professionnelle que les femmes étaient sous représentées dans les médias traditionnels et les réseaux sociaux. C’est un déclic : pourquoi parle-t-on du sport féminin dans les conférences ? Pourquoi ce problème de médiatisation revient toujours ? Et qu’est qui est fait vraiment pour y remédier ? Il y avait peut-être deux blogs qui existaient. Pourquoi enferme-t-on la femme dans le sport féminin ? C’est en creusant que j’ai découvert sur les moteurs de recherche que le terme sportive renvoyait à des voitures ou alors aux sportives les plus sexys. Il y avait du travail à faire sur l’image de la sportive. C’est comme ça que le magazine est venu, il a coulé de source. Quand je l’ai créé, j’ai décidé de travailler avec le milieu de la culture, avec des artistes pour sublimer la sportive et la rendre visible.
Que peut-on lire dans votre magazine ?
C’est un magazine mais aussi un site internet avec une grosse présence digitale. Une alternance de sujets de fond et des portraits ou des rencontres de sportives de caractère, de sportives lambda ou exceptionnelles, des sportives de tout niveau sur tous les terrains pour inspirer. C’est toutes les femmes, sur tous les terrains à tous les âges. Toutes les sportives dans leurs diversités et leurs richesses. Qu’elles soient grandes, petites, âgées, moins âgées… On trouve de l’inspiration, on lève des tabous pour montrer que le sport est accessible à toutes.
Qui met en lumière Les Sportives ?
On est la même équipe depuis le début. Elle a quelque peu changé mais en termes de plume journalistique, c’est le même socle. On est une équipe mixte sur la rédaction, la maquette, le démarchage commercial et la gestion des partenaires. On n’a pas de locaux pour le moment. On en cherche. On est dans une phase de construction. Jusqu’en 2021, j’ai gardé mon métier à côté de la gérance du média. Depuis cette année, c’est mon activité principale. On est dans une phase d’accélération avec toutes les fourmis pour le faire grandir. Nous travaillons au quotidien sur la mise en ligne d’articles, les réseaux sociaux, la démarche commerciale et relationnelle. Il n’y a pas un jour qui passe sans avoir une sportive mise en lumière.
Avez-vous le sentiment d’avoir répondu à une demande précise sur un segment médiatique sous-utilisé ?
Je m’en rends compte d’autant plus aujourd’hui. Mais je m’en suis vraiment rendu compte lors de la soirée de lancement où il y a eu 150 personnes avec beaucoup de personnalités comme des athlètes de haut niveau, des politiques comme Nathalie Iannetta qui était à l’époque conseillère sport de François Hollande, Thierry Braillard, alors secrétaire d’état aux sports. J’ai pensé que je lançais un truc pas mal. Plus le temps passe, déjà plus de six ans, plus je sens par des messages bienveillants que je reçois que Les Sportives donne un sas d’expression. On aborde certains sujets qui libèrent la parole sur d’autres médias. J’ai créé Les Sportives pour être complémentaire. Dès qu’on sort un magazine, on le fait en collaboration avec d’autres médias. Par exemple, nous avons fait un partenariat avec Eurosport lorsque nous avons mis Perrine Laffont en couverture. On a alors communiqué sur le fait qu’Eurosport était diffuseur de ses compétitions. L’idée est d’intégrer les sportives dans la société, dans les médias plutôt que de dire qu’elles nous appartiennent.
En 2022, le sport féminin est-il reconnu à sa juste valeur ?
Non, le sport féminin a encore ses lettres de noblesse à revendiquer. Je parle bien de revendication. Je prends l’exemple d’Alice Milliat qui a été enfin reconnue par le Comité national olympique et sportif français en 2021 avec l’inauguration d’une statue à son effigie à la Maison du sport français. Il a fallu 100 ans. Le sport féminin a du chemin à faire. Les sportives n’osent pas encore s’affirmer comme telles. Pendant longtemps, la mentalité laissait penser que les femmes étaient des garçons manqués lorsqu’elles pratiquaient du sport. Il y a encore des stéréotypes à déconstruire. L’image de la sportive en fait partie. Quand on voit que certains politiques ou journalistes peuvent dire que le sport féminin est médiocre. Denis Balbir avait dit qu’une femme ne pouvait commenter un match parce qu’elle montait trop dans les aigus. Il y a encore beaucoup de travail à faire sur le changement des mentalités. On revient de très loin mais il y a encore une déconstruction de la femme elle-même pour prendre confiance et s’affirmer en tant que sportive. C’était aussi le constat quand je remettais le magazine en main à des femmes. Elles me répondaient qu’elles n’étaient pas sportives. Je répondais que le magazine n’était pas là pour renvoyer à leur miroir. Ce n’est pas un magazine féminin. Le sport féminin a de très beaux jours devant lui, il y a de réelles avancées. Mais ça prend du temps sur la parité. Faut-il passer par des quotas ? C’est un vrai sujet qui me nourrit tous les jours. Plus il y a de l’injustice, plus j’ai envie de m’impliquer.
Etes-vous optimiste ?
Je suis très optimiste. C’est mon tempérament. Je reste toujours prudente. Je préfère voir le verre à moitié plein qu’à moitié vide. Il y a de plus en plus d’initiatives, de sportives. Combien de femmes je vois courir, pratiquer du sport ? Il y aura toujours des sportives, il y en aura toujours plus grâce aux initiatives et à la libération de la parole notamment sur les violences sexistes. Aujourd’hui, on est garni avec trois femmes à la tête du sport français, c’est honorable et historique. On ne peut que s’améliorer. Et même selon le résultat de l’élection présidentielle, on ne peut plus reculer de trois pas en arrière car les personnes sont plus solidaires et mobilisées qu’avant. Il y a plus de volontés locales et collectives.
Aurélie Bresson : « La Fondation Alice Milliat pour rendre visible les invisibles »
Vous êtes la présidente de la Fondation Alice Milliat. Pour ceux qui ne la connaissent pas, qui était-elle ?
J’aime bien poser cette question quand je rencontre des gens : connaissez-vous Pierre De Coubertin ? Bien-sûr, tout le monde le connaît. J’entends les mouches volées que je pose la même question pour Alice Milliat. C’est grâce à elle que les femmes ont le droit de participer aux Jeux Olympiques. Elle a fait de sa vie un combat pour la reconnaissance de la femme dans le sport. Dès 1919, elle a été présidente du premier club omnisport féminin puis de fil en aiguille, elle a monté les échelons en devenant présidente de la fédération des clubs féminins. Elle a créé la première fédération internationale sportive féminine. C’est comme ça qu’elle a organisé les premières olympiades féminines en 1921. Elle ne pouvait pas les appeler des Jeux Olympiques, elle a donc nommé ça les Jeux mondiaux féminins. Ils ont permis de montrer au CIO et au monde du sport que le sport féminin ramenait du public, que les sportives performaient. Le CIO n’a pas pu ignorer que les femmes pouvaient intégrer les JO qu’elles ont rejoints en 1928 grâce à l’athlétisme. C’est quelqu’un qui s’est dévoué à la cause féminine, qui s’est battu pour que les femmes puissent être reconnues comme des sportives qui peuvent performer. A l’époque, même les médecins disaient que ce n’était pas bon pour le corps des femmes qui ne pourront pas procréer. Pierre De Coubertin disait que les femmes pouvaient faire du sport mais ne pas se donner en spectacle. Alice Milliat a dû déconstruire pas mal de stéréotypes pour construire un empire, pour montrer que la femme sportive avait sa place dans la société. On lui doit beaucoup, c’est pour ça qu’on annonce les JO de Paris 2024 paritaires. Si Alice Milliat n’avait pas amorcé ce travail, cette volonté, cet engagement il y a 100 ans, on n’en serait pas là aujourd’hui.
Elle est peu connue, a même disparu de la mémoire collective pendant de nombreuses années. Qu’est ce que cela dit de notre société ?
Cela dit qu’une femme qui veut faire revendiquer ses droits dérange, cela s’est montré à plusieurs niveaux de la société et pas que dans le sport. Alice Milliat a été ouvertement ignorée par les dirigeants du sport français de l’époque, par le CIO. Elle a œuvré et s’est battue pour faire reconnaître les femmes sportives dans la société. L’histoire fait que la femme a une histoire différente, elle n’a pas toujours eu le droit de pratiquer du sport. Alice Milliat a été enterrée dans l’anonymat le plus complet à Nantes où elle est née. Elle a été retrouvée par un journaliste asiatique qui voulait faire un reportage sur cette pionnière il y a huit ans. Son retour sur le devant de la scène est très récent. Elle avait été mise aux oubliettes parce qu’elle dérangeait. Faire reconnaître Alice Milliat, c’est dire qu’on a occulté une partie de l’histoire. Dans certains pays comme l’Afghanistan, les femmes n’ont pas le droit de faire du sport et que cela n’a pas toujours été inné dans les autres pays.
Que sait-on de la personnalité d’Alice Milliat ?
On ne sait pas beaucoup de choses. Elle n’a pas beaucoup de famille. Ses descendants, eux-mêmes, n’avaient pas conscience de ce qu’elle faisait. Elle s’est mariée et a gardé son nom marital. C’est en grandissant avec des groupes féministes qu’elle est devenue militante. Elle pratiquait du sport, de l’aviron, du hockey. Elle est partie en Angleterre avec son mari décédé là-bas. Quand elle est revenue en France, elle a dit que ce pays l’avait inspiré et qu’elle voulait faire la même chose. En Angleterre, les femmes jouaient au foot, il y avait une démarche plus égalitaire, un modèle structurel différent. Elle a commencé à s’impliquer et est devenue la grande militante du sport féminin français. On sait également qu’elle était revendicatrice. Elle avait déjà compris qu’il fallait utiliser les médias, la politique pour se faire entendre. Elle était aussi discrète sur sa vie personnelle, presque timide. Malheureusement, son histoire a été mise sous le tapis. Retrouver des éléments cohérents sur cette époque est très difficile. On a très peu de matières.
Une statue à son effigie a été inaugurée, un gymnase va porter son nom…
C’est rendre visible les invisibles qui compte, rendre visible Alice Milliat et les sportives… Au-delà de la médiatisation et des réseaux sociaux, c’est dans notre quotidien à travers des noms de gymnases… Récemment, j’ai inauguré la base d’aviron de Bourges rebaptisée Alice Milliat. Il y a une vraie volonté d’avancer de manière égalitaire. A la Maison du sport français, il y a depuis le 8 mars une statue d’Alice Milliat à côté de celle de Pierre De Coubertin.
Quel est le rôle de la Fondation ?
Comme je l’ai dit, c’est rendre visible les invisibles. Faire reconnaître Alice Milliat, c’est faire reconnaître son histoire. Elle est la première femme présidente du sport français. Si toutes les femmes ont réussi à être président, c’est qu’elles ont été inspirées à un moment donné. Une femme a ouvert la voie. Si on a trois femmes à la tête du sport français, c’est grâce à Alice Milliat qui a ouvert la voie. Le rôle de la Fondation est de valoriser toutes les initiatives en faveur du développement de la pratique sportive féminine, de la prise de responsabilité. C’est accompagné ces initiatives, les rendre visibles et les financer.
En quoi la Fondation, unique en Europe, est responsable des changements sociétaux ?
La Fondation Alice Milliat, la première et l’unique en Europe, a intégré le comité consultatif du conseil de l’Europe. C’est le seul organe qui représente le sport féminin à ce conseil. Le but de la Fondation est de changer les lignes, les mentalités en montrant que c’est possible en brisant le plafond de verre. Accompagner aussi ce changement de mentalités à travers Alice Milliat. Montrer à toutes les femmes qu’elles ont le droit de devenir présidente, de prendre des responsabilités. Mais aussi que les hommes peuvent laisser leur place et faire confiance. C’est dans une démarche de vivre ensemble, c’est le cœur de l’évolution du sport qui est à l’image de la société.