Présidente – S1E2 – Véronique Lebar

Marie-Françoise Potereau

Le témoignage de Véronique Lebar est édifiant, parfois glaçant et toujours direct. Forte de ses expériences comme médecin du sport au cœur du mouvement sportif, elle garde un souvenir amer de son passage à l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) En 2013, avec des professionnels et des passionnés bénévoles, elle crée le Comité éthique et sport, une association qui tente par des actions concrètes d’éliminer les défaillances éthiques de toutes sortes. En première ligne pour accompagner les sportives et les sportifs victimes de maltraitances voire de violences sexuelles, Véronique Lebar dresse un constat sévère au sujet du mode de fonctionnement du mouvement sportif français. Enfin, elle revient longuement sur le rôle, les missions et l’utilité de l’association qu’elle préside.

Véronique Lebar, qui êtes-vous ?

Je suis une femme, déjà, qui a toujours travaillé dans le sport en tant que médecin du sport où je suis arrivée par l’intermédiaire de la danse. Je suis danseuse contemporaine de formation. J’ai voulu faire médecine. J’étais à Marseille à l’époque, dans un immeuble étudiant. Le hasard a voulu qu’un jour, un voisin tape à ma porte. Il me dit qu’il a besoin de médecins en urgence à la fédération française de boxe française. J’y suis allée pour voir parce que je trouvais cela sympa de découvrir quelque chose. C’est comme ça que je suis entrée en médecine du sport. Je suis allée taper au service de médecine du sport d’un hôpital de Marseille. J’ai eu la chance de tomber sur une équipe super sympa qui m’a formée. Je suis alors entrée en tant que médecin du sport à la fédération de boxe française. J’avais attrapé le virus. J’adorais, à l’époque, l’ambiance de la fédération. J’y suis restée 25 ans.

J’ai eu ensuite un cabinet pendant 15 ans à Paris. Parallèlement, j’ai commencé à m’intéresser au dopage. J’ai fait pendant neuf ans des contrôles antidopage. Je m’occupais de la prévention dopage en Ile-de-France pendant quatre ans avant qu’on propose le poste de médecin conseiller où j’étais chargée de la politique médico-sportive et de la lutte anti-dopage, répression et prévention. Je suis restée quatre ans à ce poste. Ensuite, l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) a été créée à Paris. On m’a proposé le poste de responsable médical de l’AFLD en octobre 2006. C’était très intéressant car il fallait complètement créer le service. Je suis restée à l’AFLD pendant sept ans. Pendant toute ma carrière médico-sportive, j’ai toujours été sensible aux questions de maltraitances dans le sport. Même à l’AFLD, j’étais sollicitée très régulièrement pour prendre en charge des victimes de violences sexuelles dans le sport. J’ai d’abord cherché des solutions au niveau institutionnel mais il n’y avait rien concrètement. Je me débrouillais avec mon petit réseau. Il fallait monter quelque chose et c’est là que l’idée est née du Comité éthique et sport.

Durant votre parcours, vous étiez devenue la première femme médecin du sport…

Oui, je l’ai appris très longtemps après. Très clairement, par rapport à cette histoire de discrimination, de sexisme, je pense qu’il faut relativiser les choses. Je suis un être humain. J’ai fait des études de médecine du sport parce que cela me plaisait. Je me suis jamais dit que j’étais la première femme, je n’étais même pas au courant. Dans le milieu professionnel, il faut d’abord se considérer en tant que professionnel plutôt qu’en tant qu’homme, femme ou transsexuel. Peu importe. Je ne vois pas ce que l’identité sexuelle a à faire avec la valeur professionnelle. Et ça, c’est très clair pour moi.

Qu’avez-vous appris du sport français pendant vos années à la lutte anti-dopage ?

Quand je suis entrée à l’AFLD, j’étais contente parce que je me suis dit que j’allais mettre les mains dans le cambouis en m’attaquant au vrai problème du dopage. Parce que je pensais avoir certaines manettes. En tout cas à l’époque, le médical était là parce qu’il fallait remplir des dossiers d’autorisations d’usage à des fins thérapeutiques (AUT). La prévalence était les contrôles antidopages, surtout pas l’humain ni l’éthique. C’était le fait de faire un maximum de contrôles antidopages positifs pour le rapport de fin d’année. Je me suis battue avec le représentant de la commission d’éthique, qui est quelqu’un de vraiment bien, pour essayer de faire des choses au niveau de l’éthique. Au bout de sept ans, le bilan était négatif. On a fait des expertises des dossiers d’AUT mais ça, ce n’est pas faire avancer la lutte antidopage.

Pourquoi ? Parce que vous étiez confrontés à des décisions politiques, à des stratégies ?

C’est essentiellement de la politique, comme au ministère des sports. Pour moi, le médical s’apparente aussi à l’éthique, à la protection de l’humain. Le médical était au service de cette politique, très clairement. Je suis sortie de ces sept ans un peu déçue. Je n’ai pas du tout rempli ma mission. J’avais vraiment envie qu’on soit au service du sportif. Quand on travaille dans le monde du sport, quel que soit le niveau, on est avant tout au service du sportif. Dans le monde du sport actuel, beaucoup de gens ne le sont pas. J’aurais aimé vulgariser les choses, faire une formation concrète, donner de vrais outils au sportif.

Imaginez-vous que cela a pu évoluer dans le bon sens ?

Je n’ai pas ces échos-là mais je ne peux pas l’affirmer puisque je ne suis plus à l’AFLD. Je ne pourrais pas me permettre d’affirmer des choses alors que je n’ai pas d’informations concrètes.

Véronique Lebar : « Le monde du sport est complètement accroché à ses privilèges »

Durant votre carrière, vous avez été confrontée à des exemples de violences, notamment sexuelles. Quel constat avez-vous dressé sur ces problématiques ?

Le monde du sport est un tout petit monde, un très vieux monde complètement accroché à ses privilèges et qui n’est pas en passe de changer. Je le pense fondamentalement. C’est un constat négatif. Le terrain veut changer pour être plus tourné vers le sportif, son bien-être en tant que sportif et qu’être humain. Le sportif n’est pas un bout de viande qui périme à un moment, c’est un être humain.

C’est assez terrible parce que si on peut ne pas les accepter, on peut comprendre les manœuvres politiques dans la lutte contre le dopage. Mais quand on parle de violences sexuelles, il est très difficile d’entendre que des stratégies politiques entrent en jeu.

Evidemment, toute violence sexuelle doit faire l’objet d’une plainte et l’agresseur doit être puni. La question ne se pose pas. Mais, il y a les petits intérêts de l’individu qui a intérêt à ce que certaines choses ne se sachent pas parce qu’il a des bénéfices secondaires. Soit des personnes traînent des casseroles qu’elles n’ont pas envie de voir sortir soit d’autres ont envie d’arriver à une position hiérarchique plus élevée. A partir de ce moment, on fait comprendre qu’il est préférable de se taire. Ce n’est pas 100% des personnes, je ne le dis pas et je ne le pense pas. Mais à l’heure actuelle, il y a une grande proportion de personnes, hommes ou femmes, qui sont trop attachées à leur égo, à leurs bénéfices et à leurs petits privilèges pour que les choses changent fondamentalement. On n’a pas encore gagné.

C’est un sujet qui est prégnant désormais. Notez-vous une évolution ces dernières années ?

Depuis #metoo, il y a eu une évolution de la parole reprise relativement longtemps après par le monde du sport. Actuellement, il y a beaucoup d’affichages, de communication par rapport aux violences sexuelles. Entre certaines victimes, il y a des batailles d’égo et commerciales. En haut lieu, on m’a rapporté de façon claire qu’on a dit à une victime qu’il y a des sous en ce moment sur les violences sexuelles et qu’il faudrait monter des associations. Mais qu’est ce qu’on fait ? In fine, l’objectif est de protéger les victimes, les sportifs et les sportives…

Et d’éradiquer toutes les formes de violences…

On ne parle pas du père Noël. En tout cas, d’accompagner les victimes et d’essayer de mettre un maximum de protections entre l’agresseur et les sportifs. Mais pas dans les paroles, pas dans l’affichage, pas dans le politique, pas dans le déclaratif. Pas en inventant des chiffres. Plutôt en donnant des preuves. Il faut être concret pour protéger véritablement les victimes.

Le sport est-il gangrené par ces comportements ?

Je ne sais pas. Vraiment, je ne sais pas. C’est difficile d’avoir un aperçu sur l’étendue des maltraitances. Par définition, c’est caché. C’est comme la réalité du dopage, on a du mal à avoir de véritables chiffres. Je pense, en tout cas, que c’est très bien installé. Ces modes de protection des agresseurs existent encore. Cela commence à s’améliorer mais c’est un frémissement. Le tout début du tout début. Ce n’est pas gagné.

Véronique Lebar : « Le Comité s’occupe de toutes les maltraitances et les discriminations »

Vous présidez le Comité éthique et sport. En quelle année a-t-il été créé ?

En 2013 avec des personnes motivées, volontaires, bénévoles dans tous les domaines. Elles se sont engagées au Comité à titre personnel puisqu’on sait qu’il est déjà difficile de parler librement en général et encore plus quand on travaille dans une institution ou une fédération. On a des représentants de toutes les entités du sport mais ils parlent en leur nom.

Quel est son rôle aujourd’hui ?

En 2013, on s’était dit qu’on allait avoir un rôle de ressources, de mise en lien. La réalité du terrain nous a fait prendre une direction plus concrète. En clair, l’objectif du Comité est de faire des propositions concrètes sur certaines déviances à l’éthique dans le monde du sport. On ne s’occupe pas uniquement de maltraitances mais aussi de la lutte contre le dopage, de sponsoring responsable, de discriminations. On s’entoure principalement de professionnels. C’est très important de faire un travail sérieux. Qui n’est que ce qu’il est. On n’a jamais prétendu que nos préconisations étaient supérieures à celles des autres. Elles ont le mérite d’avoir été vraiment travaillées.

Pour donner un exemple, on a d’abord travaillé sur l’état des maltraitances dans le monde du sport en France par rapport à l’international. La préconisation concrète a été de mettre en place une ligne d’appel à destination de tous les sportifs et acteurs victimes ou témoins de maltraitances. Centré autour de ce numéro d’appel, il existe un réseau de professionnels travaillant bénévolement : médecins, psychologues, avocats, gendarmes qui accompagnent chaque victime jusqu’au moment où l’affaire prend fin. La victime, en très grande fragilité, a vraiment besoin d’être cocoonée et surtout pas baladée d’un professionnel à l’autre qu’elle ne connaît pas, qui n’est pas sensible au sujet et qui ne connaît pas le monde du sport. Tous nos professionnels sont issus du monde du sport. On a beaucoup d’anciens sportifs de haut niveau, à minima des passionnés de sport. A chaque fois, les sportifs nous disent qu’il est agréable de parler le même langage. Par rapport à la confiance qui est obligatoire, cela nous fait gagner du temps.

Les victimes ou leur entourage vous sollicitent donc lorsqu’il y a une problématique…

C’est ça, ils composent le numéro à disposition 7 jours sur 7 de 8h à 22h. C’est toujours un médecin qui répond. Il traite l’appel. Dans le cas où des victimes de violences sexuelles sont effondrées, on s’organise pour qu’elles soient vues dans leur région rapidement par un médecin. Une fois la consultation réalisée, on dirige la victime vers l’antenne de sa région où il rencontre un avocat, un médecin et un psychologue. On propose ensuite un fil rouge de prise en charge. Cette sportive ou ce sportif sait bien qu’on est en lien, qu’elle ou il peut nous appeler et que nous sommes réactifs.

Etes-vous aussi en mesure d’accompagner les clubs ou les institutions sportives ?

Nous sommes là pour les sportives et les sportifs. Quand un club a un problème, par exemple un président apprend qu’un de ses entraîneurs est en garde à vue parce qu’il aurait agressé sexuellement un gamin du club, on met en place une cellule de crise où les professionnels du comité rencontrent les parents, les victimes, les témoins. On répond aux questions, on apaise les angoisses, on explique ce qu’il va se passer. On propose des groupes de parole thérapeutique. Une fois que c’est aplanit, on accompagne le club pour transformer l’image du club et en faire un club modèle en matière de prévention des maltraitances et des discriminations.

J’imagine que vous avez peu de répit…

Oui, nous avons beaucoup de cas. Surtout que nous accompagnons toutes les maltraitances et les discriminations.

Au fil des années, de part le travail fourni, estimez-vous être d’utilité publique ?

Je ne sais pas. On n’essaie pas de dire qu’on est un maillon obligatoire dans la prise en charge des violences. Ce que l’on sait, c’est qu’on fait notre maximum en tant que professionnels pour les sportifs et les sportives. Nous sommes tous bénévoles, il n’y a donc que de la résilience et le mieux être des victimes qui comptent pour nous. Honnêtement, on ne se pose pas ce genre de question.

Vos actions peuvent être considérées comme telles. Pensez-vous quand même qu’il est nécessaire voire indispensable que des associations comme la vôtre réalisent ce travail ?

Oui, je pense qu’il est important d’être là en connaissant le monde du sport de l’intérieur pour accompagner l’être humain qui est lié à l’être sportif et performant. C’est obligatoire. Des sportifs sont ambassadeurs du Comité éthique et sport. On en parle régulièrement avec eux. On considère toujours le sportif uniquement comme une machine à performance. Médicalement, cela ne marche pas. La tête marche avec les jambes. On a très souvent des êtres humains qui n’aiment plus leur sport, qui sont dégoûtés. Nous avons récemment fait une enquête au sujet de la réalité de la dépression dans le sport sur 1250 athlètes. Les résultats ont été assez alarmants surtout chez les très jeunes. La conclusion est qu’il y a encore beaucoup de choses à faire pour l’accompagnement.

En ce sens, on parle dans les médias de la joueuse de tennis Naomi Osaka, de la gymnaste Simone Biles. Cette médiatisation peut-elle permettre d’arranger les choses ?

Pas arranger mais c’est un catalyseur obligatoire. Il faut absolument que certaines grandes figures du sport parlent de ce tabou de la dépression dans le sport. Ces gens sont connus comme étant des grands champions. Le fait qu’ils aient le grand courage de dévoiler leur partie humaine qui craque, qui est en méforme, permet de pouvoir vraiment accompagner et détecter les sportifs qui souffrent de dépression. Attention, la dépression est une maladie. Les gourous n’ont pas à s’occuper de dépression. C’est important parce que des tas de sportifs traînent avec des gourous qui ont la bonne parole et cela ne fait que les conforter et retarder la prise en charge.

Est-ce que, à l’avenir, votre victoire sera que le Comité n’existe plus, que vous ne receviez plus d’appels ?

Je ne pense pas que cela pourra arriver même dans un futur très lointain. Cela ne peut passer que par un changement profond dans la gouvernance du monde du sport. Un changement des mentalités, des personnes, des conceptions, des objectifs. C’est juste mon avis. Il y aura peut-être une petite progression mais je ne suis pas si sûre que ça. 

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